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Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda

Agnès Varda est une artiste cinéaste dont j’apprécie beaucoup le travail. C’est donc avec enthousiasme que je souhaite partager avec vous son documentaire Les Glaneurs et la Glaneuse. Ce film est une réflexion sur notre société de surconsommation et de gaspillage. Bien que ce film ait été tourné à la vieille de l’an 2000, les propos abordés sont toujours, et même plus que jamais d’actualité.

Si le terme glaneurs n’évoque peut-être pas grand-chose aux jeunes de la nouvelle génération, c’était pourtant une activité fréquemment pratiquée au cours de l’histoire. Le glanage consistait autrefois à passer dans les champs après la moisson pour ramasser les épis qui traînaient par terre. Ce travail était accompli par des groupes de femmes, comme en témoigne le célèbre tableau du peintre français Jean-François Millet.

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Cette tradition du glanage a bien changé :

Les glaneurs n’ont pas disparu aujourd’hui, mais à la différence d’autrefois désormais les gens glanent seuls. De plus, aujourd’hui  le glanage se pratique autant par des hommes que par des femmes.

Ce film montre les différentes formes du glanage. Il dénonce aussi d’une part le gaspillage alimentaire à diverses échelles, et d’autre part l’exclusion sociale de ceux qui ne consomment plus. Car aujourd’hui on vit dans une société organisée autour du fric, qui surconsomme et qui surgaspille.

Ce documentaire est une exploration autour du glanage :

Elle se fait à la fois à l’aide du dictionnaire, mais aussi avec l’aide de l’histoire, grâce à des détours dans les musées, mais aussi sur les routes de France, par le biais des rencontres aléatoires.

Agnès Varda a réalisé ce documentaire avec une petite caméra numérique et une équipe de tournage extrêmement réduite. Ainsi, elle a pu aborder ce sujet complexe, sans intimider les gens. Ces moyens restreints lui ont permis d’avoir un meilleur contact avec les glaneurs, mais aussi, de pouvoir tourner à son rythme, en plusieurs fois. Le fait de prendre son temps pour tourner ce film a permis d’appréhender les gens de façon naturelle. Ainsi, petit à petit elle habitue les gens sa présence et à sa caméra. Une fois mis en confiance, les gens se sont alors confiés librement à Agnès Varda sur les raisons qui les poussaient à glaner. Grâce à cette parole libre, elle est parvenue à dresser un portrait authentique, des différents visages des glaneurs contemporains.

Ils sont peu nombreux, mais les raisons qui les poussent à se baisser et à fouiller les rebuts sont très diverses. Certains font ça par convictions d’autre part nécessitées.

Ce documentaire témoigne donc du parcours et des rencontres d’Agnès Varda sur les routes et dans les villes et les villages de France : 

C’est au cours de ces pérégrinations qu’elle a rencontré des glaneurs, des récupéreurs, des ramasseurs et des trouvailleurs.

Les butins des glaneurs urbains, sont très distinct, de ceux des glaneuses d’autrefois, qui ramassaient les épis de blé après la moisson. En effet, parmi les multiples visages du glaneur contemporain, il y a ceux qui comme autrefois glanent dans les champs après la récolte, mais également ceux qui grappillent dans les vergers ou les vignes, mais aussi ceux qui récupèrent les encombrants, et ceux qui fouillent les poubelles…

Enfin, il y a la glaneuse, Agnès Varda, qui capte ces images. Le titre fait directement référence à elle.

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Tous ont en commun, l’abjection du gâchis, mais aussi une conscience accrue.

Ils jugent immoral  le fait de préférer laisser perdre quelque chose, dont d’autres auraient besoin.

Le gaspillage est donc la chose qui les pousse individuellement à agir :

Ce documentaire met en lumière par le biais de témoignages, ce qu’il y a de scandaleux dans le fait de jeter ce qui se mange encore, de jeter ce qui fonctionne encore, ou ce qui peut se réparer.

Portraits des glaneurs :

On rencontre Claude, dans sa caravane :

Il est accompagné d’un ami, et visiblement de quelques bières! Lors du tournage, il déclare être sans emploi. Autrefois, c’était pourtant un acharné du travail. Il travaillait en temps que routier et roulait près de 22 h par jour. Il lui a fallu d’un seul contrôle pour qu’il perde son emploi et que sa vie bascule. Désormais, il glane pour manger, pour survivre. Il n’a pas le choix de faire les poubelles pour se restaurer.

Ensuite, on rencontre Édouard Loubet :

C’est l’un des plus jeunes chefs doublement étoilés par le guide Michelin. Il ne jette rien. Il récupère tout et cuisine toujours les restes afin de ne rien gâcher. Et le petit secret de ce chef, c’est de fréquemment ramasser des herbes aromatiques comme de la sarriette par exemple. Il explique que cela lui permet d’aromatiser ses plats à moindre coût. Depuis son enfance il a appris à ramasser des fruits et légumes au détour des chemins. De plus, ce qui l’apprécie tout particulièrement dans le fait de grailler, c’est de savoir d’où proviennent les aliments qu’il cuisine.

… Le Tour de France continue en bourgogne. Certains vignerons de la région préfèrent laisser le raisin à terre plutôt que cela puisse profiter à des passants.

Hervé lui pratique la biffe!

Faire la biffe, c’est aller au-devant des objets dont les gens se séparent. Ainsi, il se sert des prospectus donnés aux citoyens pour jeter leurs encombrants pour aller récupérer des objets avec l’aide de son vélo. Il aime les objets jetés parce qu’ils ont déjà vécu, ils sont patinés. Ce qu’il apprécie c’est de tourner dans les rues, pour lui c’est comme une chasse au trésor. Il se sert de ces trouvailles pour réaliser des œuvres d’art. Il apprécie l’idée de donner une deuxième chance aux rebuts. La « récup » pour lui c’est une démarche artistique et éthique.

Puis, il y a François, l’homme aux bottes!

François lui n’est pas sans emploi, il est salarié et il ne se considère pas du tout comme pauvre. Il est en l’occurrence doté d’une conscience écologique forte. Les dates limites de consommation qu’il juge trop hâtives le révoltent. Ainsi, il récupère par souci d’éthique. Il trouve scandaleux de gaspiller ce qui est encore mangeable, ainsi il ne souhaite pas acheter sa nourriture.

Salomon, lui est un roi de la « débrouille »:

Il glane autant de la nourriture que des appareils électroménagers qu’il revend, ou redonne. Il vit dans une sorte d’économie parallèle fondée sur la récupération, le bricolage, la revente et l’entraide.

Enfin on fait la rencontre d’Alain:

Il se nourrit de légumes glanés en fin de marché, directement sur le bitume. Il est vendeur de journaux de rues et vit dans un foyer pour travailleurs précaires au sein duquel il dispense bénévolement chaque soir des cours d’alphabétisation pour les travailleurs immigrés de son foyer. Alain est instruit et diplômé il vit pourtant en marge du système. Il donne ce qu’il a, c’est-à-dire son savoir.

 

Une question omniprésente ou qui revient tout au long du film est la question de la législation :

Les avis diffèrent et sont parfois contradictoires selon les personnes interrogées. Afin de mettre fin à ce flou juridique, Agnès Varda fait intervenir un avocat. Ainsi, selon le Code pénal, l’article R 26 affirme qu’il y a deux conditions à respecter pour avoir le droit de glaner. La première condition, c’est de glaner après le lever du soleil et avant le coucher du soleil. Puis la seconde condition, c’est de venir glaner que lorsque la récolte normale a été enlevée.

Même si l’avocat consulté par Agnès Varda confirme formellement le droit de glaner, dans les faits les propriétaires l’interdisent souvent, en prétextant la propriété privée.

L’essentiel est invisible pour les yeux :

Si l’on ne devait garder qu’une image du film, ce serait peut-être la patate en forme de cœur qu’Agnès a souhaité garder, sur-le-champ de pomme de terre. La patate en forme de cœur est difforme. Ainsi par sa forme non standardisée, qui rentre pas dans les critères la grande distribution (qui mesure entre 45 et 75 mm) elle constitue l’emblème de tout ce que nous mettons au rebut pour non-conformité.

Cependant, cette pomme de terre, qu’Agnès Varda prend plaisir à regarder peu s’avérer être un trésor pour qui sait regarder autrement.

Cette pomme de terre est aussi l’allégorie de toutes ces personnes qui sont en marge, parce qu’elles sont différentes.

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Par moment le film peut sembler quelque peu daté, notamment lorsqu’on entend les prix en francs.

Mais cependant, le gaspillage est toujours d’actualité. Et aujourd’hui la pratique du glanage au sein des grandes villes commence à s’instrumentaliser :

En effet, les réseaux sociaux permettent de partager et d’avoir accès à de l’information quasi instantanément. Ainsi, à Montréal par exemple, il y a des cartes qui cartographient de façon très précise, les lieux dans lesquels on peut faire de bonnes trouvailles. Elle précise aussi les horaires auxquels il faut s’y rendre si on veut avoir plus de chance d’y faire des trouvailles. De plus, bien souvent les surplus de glanage qui proviennent des dumpsters sont partagés et déposés dans parcs. À l’aide d’une photo de l’emplacement, les récoltes sont partagées sur la page Facebook Dumpster Diving qui concentre les bons plans.

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Mais aujourd’hui des groupes comme celui-ci, il y en a de nombreux sur Facebook.

Parmi eux il y a aussi des groupes de dons, ou seules les annonces gratuites sont publiées. Ainsi une économie parallèle se crée et entre les gens qui donnent des trucs et ceux qui accueillent les objets dont les gens veulent se départir.

Enfin, les applications mobiles peuvent aussi contribuer à limiter le gaspillage et notamment le gaspillage alimentaire :

Dans cette optique je vous ai récemment parlé de l’application Too Good to go, disponible dans de nombreux pays européens, elle permet d’acheter des invendus à petits prix.

Ainsi aujourd’hui les nouvelles technologies, permettent de faire émerger une nouvelle économie sociale.